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La Saint-Barthélemy de Charlotte Arbaleste


Duplessis-Mornay

La Saint-Barthélemy de Charlotte Arbaleste

Extrait tiré de : Charlotte Duplessis-Mornay, Mémoires de Madame de Mornay, 1868 (acheter l’œuvre)

Extrait proposé par : Caroline Trotot


Texte de l'extrait (source) :

La paix estant faitte, je m’en vins, par le commandement de madamoyselle de la Borde, ma mère, à Paris, où après avoir fait noz partages de la succession de feu mon père, je demeuray pour tascher à nettoyer le bien de ma fille, et y estois encores lorsque le massacre survint.

Je faisois estat, pour me divertir d’affaires et pour ma santé, d’aller passer mon hyver chez madamoyselle de Vaucelas ma sœur, et pour ce que je devois partir le lundy après St Barthélémy, je voulois aller le dimanche au Louvre prendre congé de madame la Princesse de Conti, madame de Bouillon, madame la marquise de Rothelin et madame de Dampierre. Mais comme j’estois encore au lit, une mienne servante de cuisine, qui estoit de la religion et venoit de la ville, me vint trouver fort effrayée, me disant que l’on tuoit tout. Je ne m’estonnay1 pas soudainement, mais ayant prins ma cotte2 et regardé par mes fenêtres, j’aperceu, à la grande rue St Anthoyne où j’estoy logée, tout le monde fort esmeu3, plusieurs corps de garde et chacun à leur chapeau des croix blanches. Lors je vis que c’estoit à bon escient et envoyay chez ma mère, où estoient lors mes frères, scavoir que c’estoit. L’on les trouva fort empeschés à cause qu’allors mes frères faisoient profession de la religion. Messire Pierre Chevalier, Evesque de Senlis, mon oncle maternel, me manda que je misse à part ce que j’avoy de meilleur et qu’il m’envoyeroit incontinent quérir ; mais comme il y vouloit envoyer, il eut nouvelle que feu messire Charles Chevalier, seigneur d’Esprunes son frère, qui estoit fort affectionné à la religion, avoit esté tué à la rue de Bétisy où il s’estoit fait loger pour estre proche de monsr l’Amiral. Cela fut cause que monsr de Senlis m’oublia, joint que luy voulant aller par la rue fut arresté, et sans ung signe de croix que l’on luy vit foire, (car il n’avoit point congnoissance de la religion,) il eust esté en danger de sa vie. L’ayant attendu quelque demye heure et voyant que la sédition s’esmouvoit fort en la ditte rue St Anthoyne, j’envoyay ma fille, qui lors avoit troys ans et demy, au cou d’une servante, chez monsr de Perreuze qui estoit maistre des Requestes de l’hostel du Roy, et ung de mes meilleurs parens et amys, qui la fit entrer par une porte de derrière, la receut et me manda que sy j’y voulois aller, que je serois bien venue ; j’acceptay son offre et m’y en allay, moy septiesme. Il ne savoit point encores lors tout ce qui estoit arrivé ; mais ayant envoyé ung des siens au Louvre, il luy rapporta la mort de monsr l’Amiral et de tant de seigneurs et gentilshommes, et que la sédition estoit par toute la ville. Il estoit lors huit heures du matin ; je ne fus pas sy tost partie de mon logis que des domestiques du duc de Guise y entrèrent, appelèrent mon hôste pour me trouver, et me cherchèrent partout ; enfin, ne me pouvant trouver envoyèrent chez ma mère luy offrir que sy je leur vouloys apporter cent escus, ils me conserveroient et la vie et tous mes meubles. Ma mère m’en envoya donner avis chez M. de Perreuze ; mais après y avoir ung peu pensé, je ne trouvay point bon qui seussent où j’estoy, ny que je les allasse trouver, mais bien suppliay ma mère de leur faire entendre qu’elle ne scavoit que j’estoy devenue, et leur faire offre touteffois de la somme qu’ils demandoient. N’ayant peu avoir de mes nouvelles, mon logis fut pillé. Chez monsieur de Perreuze se vinrent réfugier M. des Landres et madame sa femme, mademoiselle du Plessis-Bourdelot, mademoiselle de Chaufreau, M. de Matho et toutes leurs familles ; nous estions plus de quarante (là dedans réfugiez) de sorte que M. de Perreuze estoit contraint, pour oster tout soubçon de sa maison, d’envoyer quérir des vivres à ung autre bout de la ville, et aussy se tenir luy ou madame de Perreuze sa femme à la porte de son logis pour dire quelque mot en passant à monsr de Guise où à M. de Nevers et autres seigneurs qui passoient et repassoient par là, et aussy aux capitaines de Paris qui pilloient les maisons voisines. Nous fumes là jusqu’au mardy et ne peut foire si bonne mine4 qu’il ne fut soubpconné, de sorte qu’il fut ordonné que sa maison seroient visitée le mardy après disner. La plupart de ceux qui s’y estoient sauvés s’estoient retirez ailleurs, et n’y estoit demeuré que feu mademoiselle de Chaufreau et moy. Il fut contraint de nous cacher, elle avec sa damoyselle dans un buscher dehors, moy avec une de mes femmes dans une voûte creuse ; le reste de nos gens déguisez et cachez comme il avoit peu. Estant en cette voûte, au haut du grenier, j’oyois de si estranges crys d’hommes, femmes et enfants qu’on massacroit par les rues, et ayant lessé ma fille en bas, j’entray en telle perplexité et quasi désespoir que, sans la crainte que j’avois d’offenser Dieu, j’eusse aymé plus tost me précipiter que de tomber vive entre les mains de ceste populace et de voir ma fille massacrée que je craignois plus que ma mort. Une mienne servante la print et la traversa au milieu de tous ces dangers, et alla trouver feu dame Marie Guillard, dame d’Esprunes, ma grant mère maternelle qui vivoit encores, et la luy lesa, et a esté avec elle jusqu’à sa mort. Ceste après disnée du mardy fut tué en la mesme rue où M. de Perreuze se tenoit, vieille rue du Temple, feu d’heureuse mémoire monsr le Président de la Place5 feignant le mener au Roy pour luy conserver la vie. Monsr de Perreuze se voyant menasse et assailly de sy près, pour nous conserver et sauver le sac de sa maison, employa monsieur de Thou6, avocat du Roy et à présent Président en sa cour du Parlement. Ceste furie estant passée plus légèrement qu’il ne s’attendoit, il fut question de nous déguiser et nous faire délloger. D’aller chez ma mère, je ne pouvois, car on luy avoit mis garde en sa maison ; je m’en allay chez ung mareschal qui avoit espousé une sienne femme de chambre, homme séditieux et qui estoit capitaine de son quartier. Je me promis qu’ayant receu du bienfait d’elle, il ne me feroit desplaisir. Ma mère vint me voir le soir là dedans qui estoit plus morte que vive et plus transie que moy ; je passay ceste nuit chez ce capitaine mareschal ; ce ne fut que à mesdire des huguenotz et voir apporter le butin que l’on pilloit dans des maisons de la religion ; il me parla fort qu’il failloit aller à la messe. Le mercredy matin, ma mère envoya chez monsieur le président Tambonneau et chez madamoyselle la Lieutenante Morin sa belle-mère qui vivoit encores, s’il n’y auroit point moyen de me sauver là dedans. Sur le midy, je m’y en allay toute seule, et pour ce que je ne savoy pas le chemin, je suivoy ung petit garçon qui alloit devant moy : ils estoient logez au cloistre Nostre Dame, et n’y avoit que mademoyselle la Lieutenante Morin, mère de madame la chancelière de l’Hospital, monsr et madame la Présidente Tambonneau, monsr de Paray leur frère et ung de leurs serviteurs nommé Jacques Minier qui seussent que je fusse là dedans. J’entray secrètement, et me logèrent dans l’estude de monsr le président Tambonneau où je feus tout le mercredy jusques au jeudy la nuit ; mais le jeudy au soir, ils eurent avis que l’on vouloit cercher là dedans monsr de Chaumont Barbezieux qui estoit leur alié, et madame de Belesbat leur sœur, et craignant qu’en cerchant ceux là ilz ne me trouvassent, furent d’avis que je délogeasse, ce que je fis sur le minuit entre le jeudy et le vendredy, et me firent conduire chez ung marchant de bled qui leur estoit serviteur et homme de bien ; je fus là dedans cinq jours, assistée de monsr et madame la Présidente Tambonneau et de toute ceste maison de laquelle je receu tant d’amityé et d’ayde en ce besoing que, outre la parenté qui est entre madame la Présidente Tambonneau et moy, il ne sera jour de ma vie que je ne leur demeure très obligée. Le mardy suivant, madamoyselle de la Borde, ma mère, ayant ung peu reprins alaine et trouvé moyen, pour sauver mes frères de ce naufrage, de les faire aller à la messe, pensa me sauver par ce mesme chemin, et m’en fît parler par M. de Paroy, nostre cousin, lequel, après plusieurs propos que nous eusmes ensemble, m’en trouva, par la grâce de Dieu, très eslongnée. Le mercredy matin, après que ma mère eut uzé de quelques moyens pour m’y faire condescendre, n’ayant de moy telle response qu’elle vouloit, mais seulement une supplication pour me faire sortir de Paris, m’envoya dire qu’elle seroit contrainte de me renvoïer ma fille ; je ne peu que respondre sy non que je la prendrois entre mes bras, et qu’en ce cas nous nous lairrions massacrer tous deux ensemble ; mais à la mesme heure, je me résolus de partir de Paris quoy qu’il m’en deust avenir, et priay celui qui m’avoit fait ce message d’aller arrester une place pour moy aux Corbillard7, ou en quelque bateau montant sur la rivière de Sene. Le temps que je fus en ce logis du marchand de bled, ce ne fut sans pêne ; j’estois logée en une chambre au dessus d’une que tenoit madame de Foissy qui empeschoit de pouvoir marcher en la ditte chambre, et n’y ozoit on aussy alumer de la chandelle, tant à cause d’elle que des voisins ; quand l’on me portoit à manger quelque morceau, c’estoit dans ung tablier, faignant venir quérir du linge pour madame de Foissy. Enfin, je partis de ce logis le mercredy, onzième jour après le massacre, sur les onze heures du matin, et entray dans ung bateau qui alloit à Sens, et ne voulut celui là m’arrester place dans le Corbillars, d’autant qu’il estoit tout public et qu’il craingnoit que quelqu’un ne m’y recongneust. Comme j’entroy dans ce bateau qui alloit à Sens, j’y trouvay deux moines et ung prestre, deux marchans avec leurs femmes. Comme nous feusmes aux Tournelles où il y avoit garde, le bateau fut arresté et le passeport demandé ; chacun montra le sien fors moy qui n’en avois point ; ils commencèrent lors à me dire que j’estoy huguenotte, et qu’il me falloit noyer, et me font descendre du bateau ; je les priai de me mener chez monsr de Voysenon, auditeur des comptes qui estoit de mes amys et qui faisoit les affaires de feu madamoyselle d’Esprunes, ma grant mère, lequel estoit fort catholique romain, leurs assurant qu’il respondroit de moy. Deux soldatz de la compaignie me prinrent et me menèrent à la ditte maison. Dieu voulut qu’ilz demeurèrent à la porte, et me laissèrent monter ; je trouvay le pauvre monsr de Voysenon fort estonné, et, encores que je fusse desguisée, m’appeloit madamoyselle et me contoit de quelques unes qui s’estoient sauvées là dedans. Je luy dis que je n’avois loysir de l’ouïr, car je pensois que les soldatz me suivissent, qu’il y avoit apparence que Dieu se vouloit servir de luy pour me sauver la vie, autrement que je pensois estre morte. Il dessent en bas et trouve ses soldatz auxquelz il assura de m’avoir vue chez madlle d’Esprunes qui avoit ung filz évesque de Senlis, qu’ilz estoient bons catholiques et congneus de tous pour telz. Les soldats luy répliquèrent fort bien qu’ilz ne demandoient pas de ceux là, mais de moy. Il leur dit qu’il m’avoit veue autrefois bonne catholique, mais qu’il ne pouvoit respondre sy je l’estois lors. A l’heure mesmes arriva une honneste femme qui leur demanda que c’est qu’ilz me vouloient faire ; ilz luy dirent : « Pardieu, c’est une huguenotte qu’il faut noyer, car nous voyons comme elle est effrayée, » et à la vérité, je pensois qu’ilz m’allassent jetter dans la rivière ; elle leur dit : « Vous me congnoissez, je ne suis point huguenotte, je vas tous les jours à la messe, mais je suis sy effrayée que depuis huit jours, j’en ay la fièbvre ; » l’ung des soldatz respond : « Pardieu, et moy et tout, j’en ay le bec tout galeux. » Ainsy me remettent dans le bateau me disant que, sy j’estois ung homme, je n’en reschapperay pas à sy bon marché. Le mesme temps que j’estois arrestée au bateau, le logis où je venois de sortir estoit fouillé ; sy j’eusse esté trouvée dedans, j’eusse coureu danger. Nous fismes nostre voyage et la nuit nous print en ung lieu qui s’appelloit le petit Laborde. Toute l’après dinée ces moynes et ces marchands ne faisoient que parler en réjouissance de ce qu’ilz avoient veu à Paris, et comme je disois ung mot, ilz me disoient que je parlois en huguenotte ; je ne peu faire autre chose que faire la dormeuse pour n’avoir subject de leur respondre. Comme je feus dessendue, j’apperçeu le dit Minier qui estoit envoyé de par madame la Présidente Tambonneau pour savoir que je deviendrois, estant en peine de ce qu’elle avoit seu que j’avoy esté arrestée. Il me fit signe que je ne fisse semblant de le congnoistre ; mais c’estoit luy qui m’avoit fait les messages que ma mère m’avoit envoyés, et qui m’avoit aussy arresté place au bateau, qui fut cause qu’il fut recongneu par ces femmes avec qui j’estoy, et ayant trouvé moyen de luy dire sans qu’ilz s’en apperçussent, entra où nous estions et me dit que ma maitresse l’avoit envoyé pour faire vandanges. A soupper, il s’assit à table, faisant bonne mine, m’appelant par mon nom Charlotte pour luy donner à boire ; ainsy leur leva tout le soupçon qu’ilz avoient eu de moy. Il n’y avoit qu’une chambre en ceste hostellerie là où il y avoit troys litz, où ces deux moynes et ce prestre couchèrent en l’ung, les deux marchants en l’autre, les deux femmes et moy au troisiesme. Je ne fus pas sans pêne ; j’avois une chemise de toile de Hollande, accommodée de point couppé que m’avoit prestée madame la Présidente Tambonneau. Je craingnois fort qu’estant couchée entre ces deux femmes, elle ne me fist recongnoistre pour autre que je n’estois habillée. Le jeudy matin, comme nous entrasmes au bateau, le dit Minier n’y voulut entrer disant tout haut qu’il avoit accoutumé de s’y trouver mal. Mais il me dit tout bas que je me donnasse garde d’aller à Corbeil ny à Melung dont nous estions Seigneurs, craingnant que je n’y fusse congneue et que je courusse danger, mais que je me souvinsse de descendre au village d’Yuri à une petite lieue de Corbeil. Comme je véy le village, je demanday demanday au batellier à descendre, dont il me refusa ; mais Dieu voulut que vis à vis du village le bateau agrava, ce qui le contraignit de nous faire tous descendre ; l’ayant payé, nous allasmes, le dit Minier et moy, au dit village d’Yury, où estant, il prit résolution de me mener au Bouschet, à une lieue, près de la maison de monsieur le chancelier de l’Hospital, maison appartenante à monsr le Président Tambonneau, et me mit chez son vigneron. Ainsy fismes cinq lieues à pied, et m’ayant lessée chez ce bon pauvre homme, il alla à Vallegrand, chez monsr le Chancelier, pour savoir s’il y avoit moyen que je m’y retirasse, avec madame la chancelière, sa femme ; mais il les trouva tous fort estonnés8, ayant esté envoyé du Roy soubs ombre de le garder une forte garnison en sa maison, madame la chancelière avoit déjà esté contraincte d’aller à la messe. Monsieur le Chancelier m’envoya offrir par le dit Minier sa maison ; touteffois je n’y pouvois demeurer sans aller à la messe, ce qu’il ne pensoit pas que je voulusse faire, voyant la résolution que j’avois prise de sortir de Paris avec tous ces dangers. Je demeuray chez le dit vigneron quinze jours et le dit Minier s’en retourna à Paris. J’eus ung malheur qu’aussy tost que je feus arrivée au dit lieu du Bouschet, les suisses de la Royne Elisabeth9 vinrent fourrager tout le village pour trouver quelque pauvre huguenot ; mais Dieu voulut qu’ilz n’entrèrent en ceste maison où j’estoy à cause qu’il y avoit sauvegarde. Ces suisses me servirent d’excuse pour ne sortir du logis tandis que je fus là, et n’estre pressée d’aller à la messe, encores qu’ilz fissent leur procession générale. Le pauvre vigneron regrettoit fort des maisons de gentilzhommes ses voisins qui avoient esté tuez et massacrés, recongnoissant qu’au pais il n’y avoit point plus grans aumosniers, ny gens de bien qu’eux. Il me permit tousjours de dire la bénédiction et l’action de grâces en françois, et me pensoit estre servante de madame la Présidente Tambonneau, comme le dit Minier luy avoit dit. Au bout du temps, j’avois envie de gaigner la Brye et aviser à ce que je pourrois devenir ; j’empruntai du vigneron ung asne et le priay de me venir conduyre, ce qu’il fit et passâsmes la rivière de Seine entre Corbeil et Melung, en un lieu qui s’appelle St Port, et m’en vins à Esprunes, maison appartenant à feu ma grand’mère. Arrivée que je feus là, les servantes du logis me sautoient au cou d’aise, me disant : « Madamoyselle, nous pensions que vous feussiez morte ; » ce pauvre vigneron demeura fort estonné, me demandant sy j’estois damoyselle, et enfin partant d’avec moy m’offrit sa maison et qu’il me cacheroit et empescheroit que je n’allasse à la messe, s’excusant à moy de ce qu’il ne m’avoit fait coucher au grand lit ; ainsy il s’en retourna retourna et je demeuray à Esprunes deux sebmaines. Je ne veux oublier à remarquer que·ung prestre chapellain du dit lieu et qui se tenoit à Melun, me vint voir, et me consolant entre autres propos me dit : « Puisque les jugemens de Dieu commencent en sa maison, les meschans et iniques doibvent avoir grant peur. » Au bout de quinze jours, je remontai sur ung asne et m’en allé à quattre lieues de là, chez monsr de la Borde, mon frère aisné, que je trouvay en une grande perplexité, tant pour avoir esté contraint pour se conserver d’aller à la messe, comme estant lors poursuivy pour faire d’estranges abjurations. Nos amys de Paris, sachantz que j’estois là et craingnant que je le destournasse de faire les dittes abjurations, luy donnèrent avis de sa ruyne s’il me retenoit là sans aller à la messe, de sorte que le dimanche, comme son prestre estoit en sa chapelle, me fait entrer avec luy dedans. Voyant le prestre, je luy tournay le dos et m’en allay assez esplorée ; mon frère eust voulu lors ne m’en avoir jamais parlé. Je prins résolution de n’y faire plus long séjour, et d’autant qu’au partir de Paris je n’avoy que quinze testons10 dans ma bourse, et rien de ce que j’estoy vestue à moy par qu’il avoit fallu me desguiser, j’emploïay la sebmaine à cercher un chartier pour me conduire à Sedan ; et sur quinze cens frans qui m’estoient deubs là autour, j’en receus quarante escus, et durant le séjour que je fis à la Borde une mienne femme de chambre et ung de mes gens vinrent me trouver. Je fis entandre à mon frère ma résolution qu’il trouvoit hazardeuse ; touteffois, il m’ayda de faire résouldre mon chartier à me conduire qui auparavant en faisoit difficulté ; me priant touteffois que ma mère et noz autres amys ne sceussent pas que je feusse partie de son sceu, d’autant qu’il craingnoit qu’ilz n’en feussent offensés contre luy. L’adieu qu’il me fit fut qu’il s’assuroit qu’estant poussée de zèle et d’affection de servir à Dieu, il béniroit et mon voyage et ma personne ; comme, par la grâce de Dieu, il m’est ainsy avenu. J’arrivay à Sedan le jour de la Toussaint, premier de novembre, sans avoir receu aucun empeschement ny destourbier ; et à mon arrivée au dit Sedan, je trouvay beaucoup d’amys qui m’offrirent leurs moyens.


1. S’étonner : s’ébranler.

2. Cotte : Chemise.

3. Émeu : agité.

4. Le manuscrit de la Bibliothèque impériale et l’édition de M. Auguis portent : « et ne peut M. de Perreuze faire si bonne mine. »

5. Pierre de la Place, premier président de la cour des aides. Il avait écrit un commentaire fort curieux « de l’estat de la religion et de la république depuis 1556 jusqu’en 1561.

6. Le Président de Thou, auteur de la grande histoire de France de son temps, travailla plus tard à l’édit de Nantes et fut père de M. de Thou, exécuté avec M. de Cinq-Mars sous Louis XIII.

7. Le manuscrit de la Bibliothèque impériale et l’édition de M. Auguis portent : « au bateau du Corbillard, ou en quelque autre. » Corbillard : bateau qui reliait régulièrement Corbeil à Paris.

8. Le chancelier de l’Hospital, retiré à Vignai, près d’Étampes, fut plusieurs fois menacé ; sa famille et ses amis le conjuraient de se cacher ; il refusa : « Ce sera, dit-il, ce qu’il plaira à Dieu, quand mon heure sera venuë ; » on vint lui dire le lendemain qu’on voyait des chevaux sur le chemin, s’il ne voulait pas qu’on leur fermât la porte : « Non, non, dit-il, si la petite porte n’est bastante pour les faire entrer, qu’on leur ouvre la grande. » On lui donnait avis que sa mort n’était pas conjurée, mais pardonnée ; il répondit « qu’il ne pensait avoir mérité ni mort ni pardon. » (Brantôme.)

9. Femme de Charles IX.

10. Monnaie d’argent.