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Virginie Despentes - King Kong Théorie


Despentes

Virginie Despentes - King Kong Théorie

Extrait tiré de : Virginie Despentes, King Kong théorie, 2006 (acheter l’œuvre)

Extrait proposé par : Françoise Cahen


Texte de l'extrait (source) :

On peut s’étonner, à première vue, de ce que les gamines adoptent avec tant d’enthousiasme les attributs de la femme « objet », qu’elles mutilent leurs corps et l’exhibent spectaculairement, en même temps que cette jeune génération valorise « la femme respectable », c’est-à-dire loin du sexe festif. La contradiction n’est qu’apparente. Les femmes adressent aux hommes un message rassurant : « n’ayez pas peur de nous. » Ça vaut le coup de porter des tenues inconfortables, des chaussures qui entravent la marche, de se faire péter le nez ou gonfler la poitrine, de s’affamer. Jamais aucune société n’a exigé autant de preuves de soumissions aux diktats esthétiques, autant de modifications corporelles pour féminiser un corps. En même temps que jamais aucune société n’a autant permis la libre circulation corporelle et intellectuelle des femmes. Le sur-marquage en féminité ressemble à une excuse suite à la perte des prérogatives masculines, une façon de se rassurer, en les rassurant. « Soyons libérées, mais pas trop. Nous voulons jouer le jeu, nous ne voulons pas des pouvoirs liés au phallus, nous ne voulons faire peur à personne. » Les femmes se diminuent spontanément, dissimulent ce qu’elles viennent d’acquérir, se mettent en position de séductrices, réintégrant leur rôle, de façon d’autant plus ostentatoire qu’elles savent que — dans le fond — il ne s’agit plus que d’un simulacre. L’accès à des pouvoirs traditionnellement masculins se mêle à la peur de la punition. Depuis toujours, sortir de la cage a été accompagné de sanctions brutales.

Ça n’est pas tant l’idée de notre propre infériorité que nous avons assimilée — quelles qu’aient été les violences des instruments de contrôle, l’histoire quotidienne nous a montré que les hommes n’étaient par nature ni supérieurs, ni si différents des femmes. C’est l’idée que notre indépendance est néfaste qui est incrustée en nous jusqu’à l’os. Et relayée par les médias, avec acharnement : combien d’articles depuis vingt ans ont été écrits sur les femmes qui font peur aux hommes, celles qui sont seules, punies pour leurs ambitions ou leurs singularités ? Comme si être veuve, abandonnée, seule en temps de guerre ou maltraitée était une invention récente. Il a toujours fallu qu’on se débrouille sans l’aide de personne. Prétendre que les hommes et les femmes s’entendaient mieux avant les années 70 est une contrevérité historique. On se côtoyait moins, c’est tout.