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Valérie Valère - Le pavillon des enfants fous


Valère

Valérie Valère - Le pavillon des enfants fous

Extrait tiré de : Valérie Valère, Le pavillon des enfants fous, 1980 (acheter l’œuvre)

Extrait proposé par : Laura Prieur


À propos de cet extrait :

À treize ans, Valérie Valère est internée au pavillon des enfants fous d’un grand hôpital parisien. Deux ans plus tard, elle écrit le récit de son séjour : « j’ai choisi de parler pour oublier, pour rayer, pour me libérer de ces humiliations quotidiennes plus cruelles que les coups qui m’auraient permis de nourrir ma haine. » Alors qu’elle écrit, la jeune adolescente qui souffre d’anorexie mentale prend peu à peu conscience des raisons qui l’ont amenée à se priver de nourriture. Mais l’hôpital est une prison, son traitement une souffrance.


(licence Creative Commons BY-NC-SA, Laura Prieur)
Texte de l'extrait (source) :

Je suis assise au bord du lit, sur son minuscule bord comme si je refusais de profiter de ce privilège qu’ils m’ont donné avec désinvolture, je n’en veux pas, qu’ils les gardent leurs lits blancs, leurs murs jaunes, leurs tables de fer !

Le carrelage me regarde d’en bas, moi penchée vers lui, il m’observe comme si j’étais folle et les draps m’accusent brandissant l’étendard de leur propreté exaspérante. Ces quatre murs crient des mots que je ne comprends pas, je les sens se refermer sur moi comme une camisole inviolable. Oui, je voudrais qu’ils m’écrasent, je voudrais partir, quitter tout, ne plus exister. Je voudrais le néant.

Non, je ne serai même pas condamnée à mort, ma peine sera bien plus pénible : une mort lente, traînant derrière elle cet espoir vain mais inévitable qui vous fait supporter votre incessante souffrance.

J’ai l’impression de ne plus avoir de regard tant mes yeux ont pleuré, et je me moque de ma tristesse parce que je refuse ma propre pitié, je veux seulement crier ma rage et tout détruire. Tout est injustice. J’ai déjà oublié le chemin que l’on m’a fait parcourir pour m’enfermer dans cette chambre, c’est peut-être dommage, j’aurais pu m’évader. Mais non, verrous, clefs, grillages, infirmières, autant de barrières... Je me souviens seulement de regards imperturbables et indifférents, ce regard je le hais, je le tuerai... Il y a une immense rancœur en moi, mêlée à une rage incontrôlable et à une tristesse sans fond, mais ils se dérobent tous. Ce n’est pas possible, je vais éclater, ils m’ont gonflée de révolte et ils ne m’ont pas donné assez de calmants. De quel droit dirigent-ils un hôpital, eux qui ne savent pas doser, équilibrer leurs piqûres ?

Un cri de violence, soudain, déchire mes oreilles, interrompu, repris, plein de haine... Une infirmière appelle un médecin armé d’une seringue... Cris redoublés, leurs sons crèvent les tympans et paralysent d’effroi. J’imagine le lit, les sangles, les renforts de bras... Soudain explosion de rage, grincements de barres traînées contre le carrelage, déploiement de forces inutiles, sursauts désespérés... Silence.

Terrible silence angoissant. Néant. Oubli. Mur. Première mort.

Quel crime ai-je donc commis ? Refuser le monde : crime puni de prison à perpétuité. Ils me manipulent comme un vulgaire ramassis d’os, dénué de toute pensée, de tout sentiment.

Je suis seule. Dehors, le monde est en train de rire, de s’amuser, de parler, je suis seule, seule avec mon corps, qui ne veut rien, qui ne demande rien, sauf de mourir.