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La Nuit de la Saint-Barthélemy de Marguerite de Valois


Valois

La Nuit de la Saint-Barthélemy de Marguerite de Valois

Extrait tiré de : Marguerite de Valois, Marguerite de Valois, Mémoires et discours, 2005 (acheter l’œuvre)

Extrait proposé par : Caroline Trotot


À propos de cet extrait :

Marguerite de Valois (1553-1615), fille de Catherine de Médicis et d’Henri II épouse Henri de Navarre le 18 août 1572. La plupart des chefs protestants français sont réunis à Paris pour ce mariage. Le 22 août 1572, l’un des principaux d’entre eux, l’Amiral Coligny est blessé par un attentat. L’entourage royal craignant une prise d’armes en représailles contre le roi, un grand nombre de chefs protestants sont assassinés au Louvre puis les catholiques parisiens massacrent les protestants dans la ville. Dans ses Mémoires, rédigés à partir de 1594 et édités après sa mort en 1628, Marguerite de Valois raconte cette nuit telle qu’elle l’a vécue, à l’intérieur du palais royal du Louvre.

Pour approfondir :


(licence Creative Commons BY-NC-SA, Caroline Trotot)
Texte de l'extrait (source) :

Pour moi, l’on ne me disait rien de tout ceci1. Je voyais tout le monde en action : les huguenots2 désespérés de cette blessure, Messieurs de Guise craignant qu’on en voulût faire justice, se chuchetant tous à l’oreille. Les huguenots me tenaient suspecte parce que j’étais catholique, et les catholiques parce que j’avais épousé le roi de Navarre, qui était huguenot. De sorte que personne ne m’en disait rien, jusques au soir qu’étant au coucher de la reine ma mère3, assise sur un coffre auprès de ma sœur de Lorraine, que je voyais fort triste, la reine ma mère parlant à quelques uns m’aperçut, et me dit que je m’en allasse coucher. Comme je lui faisais la révérence, ma sœur me prend par le bras et m’arrête, en se prenant fort à pleurer, et me dit : « Mon Dieu, ma sœur, n’y allez pas. » – ce qui m’effraya extrêmement. La reine ma mère s’en aperçut, et appela ma sœur, et s’en courrouça fort à elle, lui défendant de me rien dire. Ma sœur lui dit qu’il n’y avait point d’apparence4 de m’envoyer sacrifier comme cela, et que sans doute, s’ils découvraient quelque chose, qu’ils se vengeraient sur moi. La reine ma mère répond que, s’il plaisait à Dieu, je n’aurais point de mal ; mais quoi que ce fût il fallait que j’allasse, de peur de leur faire soupçonner quelque chose qui empêchât l’effet5. Je voyais bien qu’ils [elles] se contestaient et n’entendais pas leurs paroles. Elle me commanda encore rudement que je m’en allasse coucher. Ma sœur fondant en larmes me dit bonsoir, sans m’oser dire autre chose ; et moi je m’en vais, toute transie et perdue, sans me pouvoir imaginer ce que j’avais à craindre.

Soudain que je fus en mon cabinet, je me mets à prier Dieu qu’il lui plût me prendre en sa protection, et qu’il me gardât, sans savoir de quoi ni de qui. Sur cela le roi mon mari, qui s’était mis au lit, me mande6 que je m’allasse coucher, ce que je fis ; et trouvai son lit entouré de trente ou quarante huguenots que je ne connaissais point encore, car il y avait fort peu de temps que j’étais mariée. Toute la nuit ils ne firent que parler de l’accident qui était advenu à Monsieur l’amiral, se résolvant, dès qu’il serait jour, de demander justice au roi de Monsieur de Guise, et que si l’on ne la leur faisait, qu’ils se la feraient eux-mêmes. Moi, j’avais toujours dans le cœur les larmes de ma sœur, et ne pouvais dormir pour l’appréhension en laquelle elle m’avait mise sans savoir de quoi. La nuit se passa de cette façon sans fermer l’œil. Au point du jour, le roi mon mari dit qu’il voulait aller jouer à la paume attendant que le roi Charles serait éveillé, se résolvant soudain de lui demander justice. Il sort de ma chambre, et tous ses gentilshommes aussi. Moi, voyant qu’il était jour, estimant que le danger que ma sœur m’avait dit fût passé, vaincue du sommeil, je dis à ma nourrice qu’elle fermât la porte pour pouvoir dormir à mon aise.

Une heure après, comme j’étais plus7 endormie, voici un homme frappant des pieds et des mains à la porte, criant : « Navarre ! Navarre ! » Ma nourrice, pensant que ce fût le roi mon mari, court vitement8 à la porte et lui ouvre. Ce fut un gentilhomme nommé Monsieur de Léran, neveu de Monsieur d’Audon, qui avait un coup d’épée dans le coude et un coup d’hallebarde dans le bras, et était encore poursuivi de quatre archers qui entrèrent tous après lui en ma chambre. Lui, se voulant garantir, se jeta sur mon lit. Moi, sentant cet homme qui me tenait, je me jette à la ruelle9, et lui après moi, me tenant toujours au travers du corps. Je ne connaissais point cet homme, et ne savais s’il venait là pour m’offenser, ou si les archers en voulaient à lui ou à moi. Nous criions tous deux, et étions aussi effrayés l’un que l’autre. Enfin Dieu voulut que Monsieur de Nançay, capitaine des gardes, y vint, qui me trouvant en cet état-là, encore qu’il y eût de la compassion, il ne se put tenir de rire ; et se courrouçant fort aux archers de cette indiscrétion, il les fit sortir, et me donna la vie de ce pauvre homme qui me tenait, lequel je fis coucher et panser dans mon cabinet jusques à tant qu’il fût du tout guéri. Et changeant de chemise, parce qu’il m’avait toute couverte de sang, Monsieur de Nançay me conta ce qui se passait, et m’assura que le roi mon mari était dans la chambre du roi, et qu’il n’aurait point de mal. Et me faisant jeter un manteau de nuit sur moi, il m’emmena dans la chambre de ma sœur Madame de Lorraine, où j’arrivai plus morte que vive, où entrant dans l’antichambre, de laquelle les portes étaient toutes ouvertes, un gentilhomme nommé Bourse, se sauvant des archers qui le poursuivaient, fut percé d’un coup d’hallebarde à trois pas de moi. Je tombai de l’autre côté presque évanouie entre les bras de Monsieur de Nançay, et pensai que ce coup nous eût percés tous deux. Et étant quelque peu remise, entrant en la petite chambre où couchait ma sœur, comme j’étais là, Monsieur de Miossens, premier gentilhomme du roi mon mari, et Armagnac, son premier valet de chambre, m’y vinrent trouver pour me prier de leur sauver la vie. Je m’allai jeter à genoux devant le roi et la reine ma mère pour les leur demander – ce qu’en fin ils m’accordèrent.


1. L’assassinat de l’amiral Coligny, chef protestant, événement qui marque le début de la Saint-Barthélemy.

2. Surnom donné aux protestants français à partir des années 1560.

3. Catherine de Médicis.

4. De raison.

5. L’action.

6. Me demande, me fait savoir.

7. Profondément.

8. Rapidement.

9. Partie entre le lit et le mur.